Les routines spatiales à la frontière du travail. In :Mobilités et modes de vie métropolitains. Les intelligences du quotidien
BELTON CHEVALLIER ; PRADEL
Type de document
CHAPITRE D'OUVRAGE (CO)
Langue
francais
Auteur
BELTON CHEVALLIER ; PRADEL
Résumé / Abstract
A la modernité actuelle est associée une disparition des routines individuelles. Reflets de l’action traditionnelle, ces dernières cadrent mal avec l’idéal de fluidité et de mouvement permanent de notre époque. Pour autant F. de Coninck et d’autres contributions dans cet ouvrage (H. Delahaye et C. Guillot notamment) montrent qu’il ne faut pas conclure trop vite à la disparition des routines. Derrière l’idée de routines, se trouve celle d’habitudes, activités répétées et fortement intériorisées par les individus. Un des niveaux dans lequel elles s’inscrivent est celui même de la vie de tous les jours (C. Javeau, 2006, p.228). Ainsi les individus utilisent au quotidien ces routines en les construisant eux-mêmes de façon réflexive (F. Ascher, 2006). Peu importe leur origine, leur simple existence est en soi le témoignage d’une résistance, de la nécessité de relativiser les impacts supposés de la modernité actuelle. En effet, cette dernière s’inscrit résolument dans le présent et dans l’aléatoire symbole de liberté, refusant alors toute planification ou régularité. La valorisation du temps immédiat réfute alors l’idée de routine. Avec l’instauration d’un nouveau rapport au temps, la modernité actuelle semble également s’affranchir de l’idée même d’espace. Les activités sociales étant de moins en moins ancrées spatialement en vertu d’une mobilité débridée, la dimension spatiale semble être de plus en plus éludée dans les analyses sociologiques pour privilégier la seule dimension temporelle. Ainsi perte de sens du spatial et disparition des routines apparaissent fortement liées en vertu du culte moderne du temps immédiat. Au confluent de ces deux tendances supposées (fin des routines et insignifiance des lieux), se pose la question de la place du travail dans nos sociétés. Ce dernier serait de moins en moins à même de constituer un cadre primaire aux actions et donc interactions des individus. Dans une perspective empruntée à E. Goffman (1974), le travail ne serait plus capable "dans une situation donnée d’accorder du sens à tel ou tel de ses aspects, lequel autrement serait dépourvu de signification" (p.30). Si on mesure la force d’un cadre primaire par sa capacité à réguler les actions des personnes y étant insérés, de nombreux arguments tendent à la relativiser. Le travail tend à se diluer, à être de moins en moins attaché à un lieu clairement délimité. En devenant omniprésent, il tendrait à y perdre en force. Dans le contexte de la mondialisation, l’entreprise est de moins en moins un lieu unifié mais plutôt une multitude de lieux éclatés dans lesquels le salarié est parfois amené à passer. L’éclatement du périmètre des entreprises renvoie à celui de leurs interlocuteurs, à savoir leurs clients et leurs fournisseurs. Dans le but d’entretenir des relations avec ses partenaires, une firme est à même d’avoir recours à des employés de plus en plus mobiles. Ce regain de mobilité professionnelle physique se traduit par des lieux de travail de plus en plus variables et temporaires (G. Crague, 2004). Avec la distance, le cadre du travail est alors vu comme moins apte à réguler les comportements des individus. Il le serait d’autant plus qu’il tend à occuper une place de moins en moins importante dans la vie des individus. La diminution tendancielle du temps de travail libère les individus d’un temps contraint et routinier au profit des loisirs, du temps libre comme lieu de création autonome (G. Friedmann, cité par C. Javeau, ibid., p.230). Enfin, la moindre capacité à réguler les actions des travailleurs se matérialise également sur le lieu de travail, emblématique du cadre primaire professionnel. En effet, les technologies de l’information et de la communication (TIC) comme Internet permettent de s’en absoudre tout en y étant physiquement présent (G. Cette, 2004). Faire ses courses, avoir des communications privées sont autant d’activités pouvant être réalisées à son travail et constituant une échappatoire "virtuelle". Les exemples ici décrits font partie d’un ensemble d’évolutions socioéconomiques récentes tendant à renforcer la thèse esquissée de la dissolution du travail et de ses lieux. Au final, le travail ne serait plus un cadre primaire d’action dans la mesure où il n’arriverait plus à avoir un rôle structurant sur les comportements spatio-temporels des individus. Toutes ces évolutions et leurs impacts supposés sont largement à relativiser. Pour ce faire, l’objectif est ici de voir en quoi le travail et son environnement structurent de façon forte le comportement des individus qui y séjournent. L’intérêt est double. D'un point de vue sociologique, il s’agit de montrer la permanence d’éléments sociologiquement structurants qui "contraignent" l’individu au travail malgré l’électivité et la liberté supposées de la modernité actuelle, fusse-t-elle hyper, post, avancée, ou deuxième. D'un point de vue urbanistique, l’enjeu est de comprendre comment l’aménagement des environnements où s’insèrent les lieux du travail peut influer sur la structuration ou la déstructuration des routines spatiales associées au travail. En ce sens nous nous intéresserons aux interactions routinières que l’individu en situation de travail développe avec son environnement urbain. Cet environnement est compris à la fois comme un périmètre autour du lieu de travail mais aussi comme une référence répulsive et attractive. Nous montrerons que l’environnement de travail reste un cadre primaire fort qui règle les comportements de ses travailleurs et leur impose des routines. Cet environnement, compris comme cadre d’expérience lié au travail, fait preuve de sa force en s’avérant peu sujet à des tentatives de modalisation. La transformation festive de ces lieux urbains a entre autres vocations de briser la dimension routinière du rapport à l’environnement de travail (social ou spatial) dans un faire semblant ludique. Cependant, sa portée est vite limitée par le cadre primaire du travail qui colore toujours ces moments et ces espaces alternatifs d’une signification liée au travail.
Editeur
L'OEIL D'OR